C'est parti pour un douzième topic juridique, c'est ça ? *compte sur ses doigts, et bloque à dix*
Si vous en avez marre des journalistes qui ne savent pas de quoi ils parlent, mélangent les notions et disent des âneries comme « la loi stipule », vous êtes au bon endroit !
Avant-Hier, le 9 novembre 2015, Seaworld nous fait une annonce, fini les spectacles d'orques, mais cette déclaration est-elle vraie ?
La scène se passe aux USA, lors d'un webcast avec des investisseurs, le directeur général de SeaWorld Joel Manby, affirme que les spectacles d'orques seront remplacés par une nouvelle attraction "éducative" dès 2017. La direction assure que cela n'est pas dû aux militants écologistes et aux critiques américaines et internationales « les militants ne seront jamais satisfaits de ce que nous faisons », mais aux « goûts changeants du public ». Quid ?
1- SeaWorld, c'est quoi ?
SeaWorld, c'est un groupe de parcs d'attractions spécialisé dans l'exploitation et la découverte des animaux marins comme l'orque et le grand dauphin au travers de spectacles, de delphinarium et d'expositions. C'est un parc pédagogique, tout en ayant des attractions pour s'amuser.
SeaWorld possède trois parcs – uniquement implantés au USA – le plus vieux, le San Diego en Californie (ouvert en 1964), l’Orlando en Floride, et le San Antonio au Texas. Un quatrième, l'Aurora a été ouvert en 2001 dans l'Ohio (Middle West) mais a été vendu en 2001 à un concurrent.
Environ 26 millions de personnes fréquentent ses parcs en une année.
Enfin, tout en exploitant les animaux, SeaWorld – et c'est à son honneur, il est important de le citer – recueille les animaux marins sauvages et les soigne dans ses centres avant de les relâcher.
SeaWorld est connu pour ses accidents avec les animaux, notamment les orques en captivité, dont un en 2010, causant la mort d'une dresseuse, et aussi les accusations contre la société pour maltraitance envers les animaux. Il semblerait aussi que les finances de la société ne soient pas au rendez-vous, ne s'étant pas remise de la chute en bourse (30% de sa valeur) suite au documentaire Blackfish.
2- Des spectacles d'orques, entre réprobation et danger réel ?

Je sais pas si vous connaissez le système du delphinarium, mais c'est un grand bassin entouré de gradins, où des mammifères marins sont dressés pour accomplir des figures dans un spectacle, bien attendu, accompagné par leurs dresseurs.
Pourquoi les supprimer ?
Blackfish, rien que ce nom donne de l'eczéma à SeaWorld.
C'est un film/documentaire réalisé par Gabriela Cowperthwaite sur l'accident qui a causé la mort d'une dresseuse, Dawn Brancheau.
Le 24 février 2010, en plein spectacle, la dresseuse avait été happée par une orque mâle, Tilikum, la Star du parc Orlando en Floride. Tilikum mesure 7 mètres de long et pèse 5,4 tonnes. Il est réputé comme la plus grosse orque en captivité.

Lui.
Arraché à sa mère à l'âge de deux ans dans les eaux d'Islande, Tilikum est une orque au passé déjà bien sanglant. Enfermé avec deux autres femelles dominatrices et maltraité dans son parc, le Sealand Pacific, un parc canadien aux méthodes de dressage brutales, comme la privation de nourriture ou des bassins exiguës. Son cerveau amplifiant l'affectif et le social, emmagasine alors de la frustration, de la haine et entraîne un comportement psychotique.
Ainsi se produit le premier accident, le 20 février 1991, il tue Kelly Byrne, une étudiante en biologie sous-marine tombant par mégarde dans la piscine où se trouve l'orque, ce dernier l'attaque et tente de la noyer, un des dresseurs lui tend une perche, et au moment où elle parvient enfin à l'attraper, l'orque l'entraîne vers le fond.
Le Sealand Pacific ferme ses portes, Tilikum est vendu à SeaWorld.
Le 6 juillet 1999, deuxième accident : Daniel Dukes, un spectateur qui s'est laissé enfermer dans le parc à la nuit tombée, cet homme était sorti quatre jours auparavant de prison, et se cachait dans le parc, pour exciter les animaux. Il est retrouvé le lendemain, nu et flottant dans le bassin de l'orque, ses habits bien pliés au bord du bassin. Son corps était couvert de plusieurs écorchures et blessures, l'orque l'a tué par noyade.
Malgré cet accident, Tilikum continue de virevolter dans son bassin.
Il faudra attendre alors le 24 février 2010, en plein spectacle, pour que le scandale éclate. Dawn Brancheau, dresseuse d'orque du Seaworld d'Orlando et Tilikum donnent une représentation de leur numéro. L'orque ne répond pas à l'un des ordres de la dresseuse, qui lui signifie un silence de trois secondes de son sifflet, le spectacle contine normalement. Mais quand, à la fin du spectacle, la dresseuse caresse et nourrit l'orque pour une séance relationnelle, l'animal l'attrape et l'entraîne dans l'eau. L'orque s'attaque à elle à plusieurs reprise, l'attrapant dans sa gueule et la noie. On relèvera plus tard diverses lacérations et fractures sur le cadavre.
John Jett, ancien dresseur dans le parc d'Orlando, avance une explication sur le comportement de Tilikum pendant le spectacle. Il semblerait que lors du spectacle, Dawn était en manque de poisson, ne pouvant que demander des exercices à Tilikum sans pouvoir le récompenser.
Lors du procès des parents de la dresseuse, la direction de SeaWorld prétextera dans un premier temps, la thèse de l'accident, que la dresseuse avait glissé dans l'eau, puis dans un second temps, que l'orque tueur avait saisi la dresseuse par sa queue de cheval, rejetant la faute sur la dresseuse et voulant s'exonérer de toute responsabilité. Le procès permettra de « démonter » cette ligne de défense. Bref, je trouve ça dégueulasse de la part de SeaWorld.
Les protecteurs des animaux ont crus enfin à la fin de ces spectacles, mais un an plus tard, les spectacles d'orques reprenait. Tilikum n'a pas été relâché dans la nature, ce dernier est gardé, car la qualité de sa semence en fait un reproducteur sans égal. Il semblerait aussi que ses spectacles ont repris.
L'orque en captivité vit moins longtemps que dans la nature, ces animaux de plus de six tonnes développent des psychoses et deviennent plus agressifs dès lors qu'ils sont en captivité. Splash, une autre orque, de quinze ans était elle-aussi ultra-agressive et dans un comportement dément, avalait le sable de son bassin. Des dizaines de kilos de sable ont été trouvé dans son corps, et ses selles étaient sanglantes.
3- Mais alors, l'orque tue-t-elle sciemment ?
Quelle que soit la motivation, certains formateurs pensent que les épaulards sont parfaitement conscients de ce qu'ils font. « J'ai vu ces animaux prendre des dresseurs dans leur bouche, ils savent exactement ce qu’est un point de rupture d’une cage thoracique. Ils savent également combien de temps l’entraîneur peut tenir au fond de l’eau », explique Jeffrey Ventre, dresseur au Seaworld d’Orlando de 1987 à 1995. Après, pour moi, leurs comportements psychotiques, leurs "charges" sexuelles restent des circonstances atténuantes.
4- Blackfish, ou l'Orque tueuse, un documentaire engagé qui fait mal à SeaWorld.
J'ai déjà présenté ce documentaire, interviewant des dresseurs, des scientifiques, pour expliquer ce qui s'est passé en 2010. L'impact a été énorme : 21 millions d'américains étaient devant CNN lors de sa diffusion en octobre 2013, la majorité ignorant les deux autres « meurtres » qui avaient précédés celui de 2010. En France, ce documentaire – que j'ai regardé à l'époque – a été vu par un million de personnes sur Arte, un record pour la chaîne franco-allemande.
Bref, ce documentaire est devenu la hantise de SeaWorld.
5- La déclaration du 9/11/2015 sur la fin des spectacles d'orques, une contre-vérité.
Le parc d’attractions aquatiques SeaWorld a annoncé, lundi 9 novembre, qu’il allait progressivement supprimer l’une de ses attractions vedettes. Le spectacle des orques de son deuxième plus gros parc, celui de San Diego, en Californie, serait remplacé en 2017 par une nouvelle attraction « éducative ». "Les spectacles dans les parcs au Texas et en Floride ne seront cependant pas affectés", a indiqué un porte-parole du groupe, cité par le New York Times.
Un coup de publicité, qui n'affectera qu'un seul parc, sur une seule espèce : l'orque.
Otaries et grands dauphins ne sont pas au bout de leur peine, enfin, les orques du parc d'Orlando seront toujours dans leur bassin, ils ne seront alors vu qu'à travers la baie vitré souterraine et une autre forme de « spectacle » sans acrobaties sera mis en place qu'en 2017.
Une mesure vaine, qui coïncide avec le martelage sur les réseaux sociaux des campagnes marketing, des offres de rabais et de la mise en avant de l'aide aux animaux sauvages blessés.
Avant-hier, SeaWorld se défendait aussi en assurant qu’il traite les animaux avec dignité et qu’il n’a pas capturé d’orques en liberté depuis trente-cinq ans. Ce qui est normal, les captures sont strictement interdites par les instances internationales de conservation animale (CITES). Une mise en avant d'une volonté, alors qu'elle ne relève que d'une interdiction internationale. SeaWorld n'avait pas le choix.
6- Les représentants américains au secours de l'orque.
L'émotion est si vive que des voix se sont élevées pour interdire la pêche des orques et leur reproduction en captivité en Californie. Le 20 février 2014, l'élu démocrate (centre droit/droite) Richard Bloom a présenté une proposition de loi dite de bien-être et de sécurité de l'orque (« Orca Welfare and Safety Act »). Deux mois plus tard, le comité chargé d'étudier ce texte a repoussé sa décision à 2015.
Après l'interlocution de SeaWorld de lundi, le même jour, le parlementaire californien Adam Schiff a affirmé lundi qu'il envisageait à cet égard une proposition de loi ( et non, un projet de loi comme l'écrivait le Point, exécutif : projet / législatif : proposition) interdisant petit à petit de retenir et d'élever des orques en captivité. "Les preuves démontrent sans conteste que les dégâts psychologiques et physiques sur ces magnifiques animaux dépassent de loin tout le bénéfice de leur exhibition."
Est-ce que ça aboutira ? L'avenir le dira.
7- L'application en France, le Marineland d'Antibes.
Voici le lien de l'article d'un ancien stagiaire au Marineland d'Antibes qui dénonce la pratique :
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1228256-les-orques-vivent-un-enfer-dans-les-parcs-j-ai-vu-les-coulisses-de-marineland-revoltant.html
Voici le lien du droit de réponse de Marineland, qui ne veut pas hériter de la réputation de SeaWorld et qui est certes plus « transparente » que son homologue américain du fait d'une législation européenne plus stricte :
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1229040-les-orques-vivent-un-enfer-dans-les-parcs-les-coulisses-de-marineland-droit-de-reponse.html
Les risques de comportements dangereux existent aussi en France, et dans tous les parcs animaliers, doit-on aller vers une interdiction pure et simple des spectacles d'orques, de dauphins, de bélugas et autres manchots ?
La phrase du moment :
"Il y a autant de bénéfices pédagogiques à acquérir en étudiant des dauphins en captivité qu’il y en aurait à étudier le genre humain en n’observant que des prisonniers isolés."
Jacques-Yves Cousteau